ESTHER MAYNARD (a drop in the ocean)

- Laisses-la tranquille, il faut bien qu’elle apprenne à vivre.
- Je refuse qu’elle parte, il faut qu’elle rentre à Harvard comme nos deux familles.
- Isabella …
- Il est hors de question qu’elle entâche son héritage.
Elle était assise sur la dernière marche du grand escalier, sa tête reposant sur la rampe, les bras entourant ses jambes recroquevillées contre sa poitrine. Le salon d’été était loin de l’escalier mais les grandes hauteurs sous plafond et le silence qui régnait dans la maison faisaient que les voix portaient facilement à travers chaque pièce. Comment son père pouvait être si différent de sa mère. Elle tremblotait seulement en entendant les voix s’élevaient. Esther avait toujours vécu plus ou moins librement, se contentant toujours du minimum scolaire, restant presque sagement à sa place tant qu’on ne la bridait pas. Apparemment, le minimum n’était pas au goût de sa mère. La famille Maynard-Rotchend avait une réputation à tenir depuis des siècles. Réputation qu’Esther ne comprenait pas. Comment pouvait-on être fier d’avoir construit sa richesse sur le dos et aux périls de la vie de centaines de personnes ? Même si l’argent coulait à flot, même si la vie était certainement plus facile ici qu’ailleurs, elle n’aurait pas hésité à échanger sa place. Sa grande sœur vint s'asseoir près d'elle, l'entourant de ses bras et calant sa tête contre la sienne. Elles étaient liées par le sang, mais pourtant elles étaient si différentes l'une de l'autre. Esmée était plus sanguine, avec plus de tempérament. On aurait cru qu'une tornade arrivait quand elle entrait dans une pièce. Elle était la copie de leur mère. Esther était plus douce, plus posée, aussi libre que l'air, comme leur père. Et pourtant l'une de pouvait pas vivre sans l'autre.
- Tu as pris la meilleure décision de ta vie, n'en doutes jamais.
La petite blonde avait pris son courage à deux mains. Pendant le repas de famille traditionnel du vendredi soir, elle avait annoncé qu'elle avait été refusée à Harvard et qu'elle partirait faire un tour du monde pour se trouver. Sa mère avait manqué de s'étouffer, tandis que son père était resté impassible. Elle ne pouvait pas être refusée, c'était impossible, sa candidature avait été envoyée bien avant qu'elle naisse. Sa mère s'en était chargée. Après les multiples scandales de pot-de-vin aux grandes universités, ces dernières se montraient de plus en plus prudentes. La seule chose qu'il pouvait se passer, c'était de faire appel et de passer un oral de motivation devant le service des admissions pour faire pencher la balance. Et il était hors de question qu'Esther se mette à genoux pour une carrière dont elle ne rêvait pas.

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Sous la pluie, assise dans la boue au milieu des moutons, elle arrachait inconsciemment les brins d'herbe pour essayer de penser à autre chose. Son téléphone à son oreille, elle entendait déblatérer sa mère à l'autre bout du monde, certainement poser sur la terrasse de la maison coloniale. Esther se taisait, de toute façon, tout ce qu'elle aurait pu dire n'aurait fait qu'aggraver les choses. Elle écoutait sans broncher les remontrances, entendre dire qu'elle avait fait que des mauvais choix et que la seule façon de se faire pardonner était de rentrer. Elle était peut-être mignonne mais quand elle avait une idée en tête, il était difficile de lui en faire sortir.
- Maman, tu peux donner le téléphone à Papa ...
Ce n'était pas une question. S'en suivit un long silence presque gênant puis on entendit des voix loin du combiné. Le visage d'Esther s'illumina en entendant la voix de son père.
- Ma chérie, tout se passe bien ? Tu n'as besoin de rien ? Tu en es où ?
- Je suis en Irlande, le soleil ne m'a jamais autant manqué qu'ici. Je me souviens même plus à quoi il ressemble.
Il y eut un petit moment de suspens. Elle devait lui dire, il n'y a que lui qui pouvait comprendre. Et au fond d'elle, elle avait besoin de son approbation et de fonds nécessaires. Les maigres boulots qu'elle avait fait durant son tour du monde ne suffiraient pas à payer un déménagement et sa volonté de faire des études. Le monde lui avait ouvert les yeux sur la chance qu'elle avait du pouvoir faire un choix et elle voulait donner ce choix à chacun.
- Tu me manques, tu sais et tu manques à Esmée.
- Vous me manquez aussi mais je ne rentrerais pas à la maison. J'ai été acceptée à l'université de Miami.
Elle était partie il y a environ un an, voguer autour du monde, prendre conscience de ce qui l'entourait. Goûter, essayer, communiquer, vivre en résumé. C'est lorsqu'elle avait senti la fin approchait, qu'elle s'était renseignée sur quelle ville lui ressemblait le plus, et son choix s'est rapporté naturellement à côté de l'océan.