BIANCA SALAZAR (à l'ancienne)

Le soleil brillait et il n'y avait pas un seul nuage à l'horizon, ce qui témoignait d'un temps extrêmement chaud pour un mois de juillet. Comme souvent dans le sud de l'Espagne. Son père était à la barre tandis que sa mère était étendue à l'avant du bateau à parfaire son bronzage pour toute l'année. C'était le seul moment de l'année, la dernière semaine de juillet, où tous les trois pouvaient se retrouver afin de profiter des vacances annuelles. C'était également le moment de retrouver une partie de la famille qui habitait en Andalousie. La petite fille, qui était dans sa sixième année, barbotait tranquillement à côté du bateau, tout proche de l'échelle. L'eau était claire, calme, typique de la Méditerranée. Quelques autres bateaux avaient sorti leur ancre à distance raisonnable du leur. D'un seul coup la mer s'agita, les vagues se firent menaçantes, si bien qu'elle ne vit plus l'horizon mais plutôt les profondeurs marines. Elle n'arrivait plus à remonter à la surface, comme si l'eau se faisait de plus en plus lourde au dessus de sa tête. D'un certain côté, c'était apaisant. D'un autre, elle est totalement paniqué, sa respiration commençait à se couper et ses yeux restaient ouverts pour fixer le reflet du soleil sur la surface. Il y eu un bref moment de répit, seulement elle n'eut pas l'automatisme qu'ont les adultes de gonfler ses poumons d'air afin de pouvoir poursuivre son apnée. A la place, l'eau salée commençait à prendre la place de l'air. Des bras vinrent la soulever à la surface, ses yeux se plissèrent comme un bébé qui voit le jour pour la première fois, ses oreilles sifflèrent en entendant une voix aigüe criait près d'elle. C'est une fois posée sur le plancher du bateau que ses yeux se fermèrent doucement et ne se réouvrirent que pour observer des murs blancs aseptisés autour d'elle. La blancheur des murs lui paraissait irréel et tranchait avec le bleu marin qui avait apaisé ses pensées. Le calme lui fait retrouver ses sens et son rythme cardiaque ralentit lorsqu'elle sentit sur sa petite main d'enfant la lourdeur et la rugosité d'une main qui l'avait soulevée hors de l'eau. Son père avait les traits tirés, des poches sous les yeux tandis que sa mère avait du s'absenter pour reprendre le travail, la famille ne pouvant pas se permettre des jours de salaire en moins. Quand ses petits yeux noisettes croisèrent le regard brun sombre, un souffle de soulagement se répandit dans la chambre d'hôpital, qui brisa le pronostic vital engagé.

★★★

La musique, qui sortait de l'établissement au rythme des lumières, retentissait jusque sur le sable de l'autre côté de la route. On pouvait décortiquer la foule, la masse sombre qui faisait trembler le sol au rythme de la musique devant l'estrade, un petit groupe à l'écart qui venait certainement de se faire sortir par un videur, un autre groupe assis sur le sable qui partageait joie et joint et elle. Bianca assise seule face à la mer, en fixant la ligne d'eau, s'amusant à enfoncer ses pieds dans le sable le plus profond possible. Il vient s'asseoir près d'elle, la sueur se mélangeant délicieusement avec son odeur musquée et ambrée. Elle eut le fâcheux réflexe de fermer les yeux et d'humer le parfum qui venait de se propager autour d'elle. Elle fit courir sa main de son coude, à l'intérieur de son bras, s'arrêtant à son poignet sur lequel elle exerça une légère pression. "Should I wait for you to go home, for one more time?" Elle ne le regardait toujours pas, ses yeux restaient rivés sur ce qui lui faisait le plus peur. Sa concentration se dissipa lorsqu'elle sentit qu'il se tournait doucement vers elle, qu'une main passait derrière son dos et que l'autre venait attraper ses doigts froids. Bianca tourna la tête, avança son cou et posa brutalement les lèvres contre les siennes avant de reprendre sa respiration. "Take that as a yes." La voix grave de Roméo résonna dans son oreille mais ce ne fut pas l'unique raison pour laquelle elle manquait d'équilibre à chaque pas. Les soirées à Ibiza finissaient rarement en déception. Les deux électrons libres restèrent collés jusqu'au lit. La lune comptait deux personnes tandis que le soleil n'en comptait plus qu'une. Sa tête tambourinait tandis que les remontées d'alcool lui donnaient la nausée. Les lendemains de soirées étaient certainement les pires et ce même avant le cap des trente ans. Un papier trainé sur la table avec un numéro qu'elle ne rappellerait certainement jamais, d'une personne qu'elle ne verrait normalement plus jamais. Et ce, même si l'attraction entre ses deux jeunes personnes avait défié les lois de la physique. Ils comptabilisaient seulement quelques heures en commun, mais cela leur avait été suffisant pour se sentir vivants. Mais si on suit le diction, il ne faut jamais dire jamais, la vie est comme une boîte de chocolats.